Voici le texte spontané que nous offre Vincent Bassouls, ancien responsable de la communication du diocèse de Perpignan-Elne
La marche des douleurs : quand la souffrance se fait prière
Trois coups lourds s’échappent de la tour de brique et brisent le silence sourd de ce Vendredi Saint. Immuable Saint Jacques, ce 7 avril, qui marque le dernier souffle d’une vie donnée il y a 2000 ans pour laver les larmes de sang de l’humanité.
15 h, la neuvième heure au temps romain.
La cloche de fer teinte froidement sous les coups secs du pénitent rouge.
L’heure est venue et la procession de La Sanch déploie son cortège de regrets depuis six siècles.
Sous le sac et la caparutxa, ils ont troqué leurs titres, leurs conditions et leurs statuts pour n’être plus que des serviteurs du Christ.
Souffrir un temps, expier, pour rejoindre dans la piété et le recueillement l’ombre d’un frère sacrifié.
A pas lents, ils entrent dans leur passion.
Les coiffes coniques s’animent et dansent au rythme de la marche du condamné.
Les tambours, eux, crient l’histoire d’une mise à mort longue et douloureuse, qu’une voix lointaine psalmodie et conte à travers les rues de la ville.
Pas à pas, pesants sous le poids des misteris (les mystères de la passion), les consœurs et les confrères avancent vers la place du Puig, puis la rue Rabelais.
Ils portent à plat d’épaule ces sculptures monumentales.
La lente agonie du Christ, représentée dans ces scènes de bois et de métal.
Ecce Homo, misteri de l’Hort les plus anciens, Jésus tombant pour la première fois le plus lourd… chaque station du chemin de croix est représentée, priée et vénérée par le cortège.
Les femmes, elles, portent les vierges des douleurs, le visage dur, fermé sous la mantille de résille noire qui symbolise le tragique.
En tête, l’imposante croix des improperis, résume les outrages subis par le Fils avant le Golgota.
La solennité qui imprègne alors les rues ne trompe pas.
On ne célèbre pas une tradition populaire ce Vendredi Saint.
On souffre en respect.
On se recueille dans la douleur et on prie intérieurement.
Ce parcours est un véritable auto da fé.
Sans vasciller.
Voilà plus d’une heure qu’ils marchent, pieds nus pour certains pour rappeler l’exacte condition, et ils tiennent bon.
Des râles étouffés par l’épaisse bure s’échappent à souffle court.
On devine les grimaces par le truchement des œillères des caparutxes.
Les yeux plissés ne mentent pas.
On ressent l’épreuve.
Les corps sont déjà las. Mais cette souffrance physique est une prière.
Elle transcende les corps et les âmes et les rapproche du Père.
Et cette cloche de fer, sans écho, sèche, qui commande la procession et rappelle le long chemin qu’il reste à parcourir.
Le reposoir de Saint Matthieu serait presque un supplice.
Mais le reliquaire des Saintes Epines qui rougissent dans leur chasse, sous tant de ferveur, redonne de l’allant.
Il reste encore à traverser le Vieux Saint Jacques.
L’heure des braves où le soleil décline déjà et la fatigue, elle, s’intensifie.
Le public, clairsemé est beaucoup moins nombreux pour accompagner les pénitents.
La curiosité n’est plus.
Près de trois heures déjà qu’ils marchent.
La Sanch prend tout son sens.
Le cortège s’étire, élastique, et remonte vers la Miranda.
Sur le parvis de Saint Jacques le tintement métallique se tait, enfin.
Jusqu’au bout de l’effort et de la douleur ils ont porté et accompagné le Christ dans son sacrifice.
En retirant la coiffe et dévoilant leurs visages, pourtant, on lit une forme de joie intense et de paix intérieure.
Comme un accomplissement.
La procession du précieux sang se vit de l’intérieur, nourrie par la foi propre et l’humilité du serviteur dans les pas du Christ.
Merci Vincent
