"Frères et Soeurs, mes amis, alors qu’un peu plus d’une année s’est écoulée depuis mon installation le 18 juin 2023 en la cathédrale Saint Jean-Baptiste de Perpignan, le moment me paraît opportun pour prendre la plume et vous adresser une première lettre pastorale... Ecoutez ou téléchargez la lettre dans son intégralité
Frères et Sœurs, mes amis,
Alors qu’un peu plus d’une année s’est écoulée depuis mon installation le 18 juin 2023 en la cathédrale Saint Jean-Baptiste de Perpignan, le moment me paraît opportun pour prendre la plume et vous adresser une première lettre pastorale.
Sitôt passées, en effet, les premières semaines d’une nécessaire acclimatation, j’ai choisi de partir à la rencontre des communautés paroissiales, sur le terrain. Ces « visites pastorales » – comme on les appelle familièrement – constituent la mission principale de l’évêque. Loin d’être un « audit », encore moins une « inspection », elles s’offrent comme un espace de rencontre et de dialogue, d’écoute mutuelle et de partage d’initiatives avec celles et ceux qui s’engagent à faire vivre un territoire tant sur le plan de la vie civile que proprement ecclésiale. C’est aussi l’occasion heureuse, pour l’évêque du diocèse, de rencontrer les divers acteurs pastoraux, de les encourager, d’envisager avec eux l’avenir.
Aussi, dans un premier temps, je voudrais vous partager mon impression générale à l’issue de cette première série de visites pastorales. Après quoi, je dégagerai quelques jalons de ce qui me semble pouvoir constituer une ligne d’action pastorale pour les mois qui viennent.
En troisième lieu, je ferai quelques remarques autour de la Synthèse finale rédigée à l’occasion du synode : Pour une Église synodale : communion, participation et mission. Enfin, je vous partagerai quelques convictions, parmi d’autres, qui me tiennent particulièrement à cœur.
I. Mon impression générale
Le sentiment qui m’habite est celui de la joie et de l’action de grâce. Sur la vingtaine de communautés de paroisses visitées, j’ai été frappé par la qualité de l’accueil et le sérieux avec lequel les équipes pastorales, autour de leur curé, avaient préparé l’événement. Chaque visite avait sa « couleur » propre, si j’ose dire, en fonction du charisme du pasteur qui m’accueillait et des accents particuliers de sa pastorale.
Le département que je découvre est une terre de contrastes : d'abord par sa topographie singulière et la riche diversité de son terroir : de la mer à la montagne, les paysages changent tout en rivalisant de beauté. Des vignes de la plaine du Roussillon jusqu’aux reliefs boisés de la Cerdagne et du Capcir en passant par les vallées pittoresques du Conflent dominées par le fier Canigou, on ne peut que s'émerveiller de la beauté de la Création. Mais l’aspect riant du territoire et son attractivité touristique cachent une réalité plus sombre : celle d'une grande précarité sociale qui classe les Pyrénées-Orientales aux premiers rangs des départements français les plus pauvres. C’est dans l'agglomération de Perpignan, surtout, que les situations sont les plus préoccupantes. Aussi ai-je apprécié de pouvoir découvrir tout ce que nos communautés de paroisses offrent comme lieux d'accueil pour subvenir aux besoins élémentaires des plus pauvres.
C’est, localement, l’engagement du Secours catholique ou de l’Ordre de Malte, bien sûr ; mais ce sont aussi, parmi bien d’autres, les initiatives aussi riches que variées que proposent Entraide et Partage, Moutarde et Macédoine ou encore la Soupe des amis de saint Vincent de Paul, organisée par nos Sœurs à Saint-Christophe. Le nombre de bénévoles investis dans ces associations est impressionnant, et c'est tout simplement magnifique !
Lorsqu'on parcourt ce beau diocèse, ce qui frappe le visiteur au premier regard, c’est la richesse exceptionnelle de son patrimoine religieux. Le département est un pays chargé d'histoire et de culture, comme en témoignent les innombrables chapelles, prieurés, et ermitages disséminés sur le territoire. Outre l'intérêt que présente le Centre de Conservation et de Restauration du Patrimoine à Perpignan, que j'ai eu la faveur de visiter, j'ai été partout frappé par l'engagement résolu des équipes municipales autour de leurs maires pour l’entretien et la valorisation de leurs églises. Les retombées sur les plans économique et touristique ne sont pas négligeables, évidemment. Mais au-delà de cet aspect, il faut mesurer les enjeux importants que cela représente d'un point de vue pastoral et missionnaire.
Dans ce domaine également, comment ne pas être sensible à l'importance de la dévotion populaire telle qu'elle s'exprime à travers la vitalité des confréries de pénitents ? La Sanch en est une illustration particulièrement remarquable, ainsi que la riche diversité des traditions locales autour des Aplecs et des fêtes de village. Il y a là, de toute évidence, un levier puissant sur lequel s’appuyer pour revitaliser localement nos pastorales du tourisme dans la dynamique d’une nouvelle évangélisation. Depuis le concile Vatican II, en effet, l’Église, par la voix de nos papes, n’a cessé de nous rappeler l’importance de la piété populaire comme lieu théologique à part entière. Comme pour nous redire que la foi a besoin de symboles, qu’elle passe aussi par une expérience sensible et même affective, qu’elle doit s'entrelacer en quelque sorte avec la vie vécue.
II. Quelques jalons pour envisager l'avenir
C'est le second point que je voudrais aborder. Je le ferai en évoquant deux événements majeurs vécus en Église durant l’année pastorale 2023-2024 et qui présentent un intérêt évident pour réinvestir le champ pastoral de nos communautés de paroisses à moyenne et longue échéance.
1. Une pastorale commune à l'ensemble de l'arc méditerranéen ?
En premier lieu, j’aimerais évoquer un événement exceptionnel qui dépasse largement les limites géographiques de notre département : celui des Rencontres Méditerranéennes qui se sont tenues du 17 au 24 septembre 2023 à Marseille. Plusieurs catholiques du diocèse y ont participé qui en sont revenus enthousiasmés, fortifiés dans leur foi. Quand un diocèse, par la voix et le cœur de son pasteur - le cardinal Jean-Marc Aveline, en l’occurrence - s’ouvre aux inspirations de l’Esprit, cela suscite une créativité missionnaire et pastorale extraordinaire jusqu’à nous offrir cet événement somptueux, un cadeau pour l’Église en France, bien au-delà des frontières de Marseille et de la Méditerranée.
Le pari du cardinal Aveline était audacieux : réunir soixante-dix jeunes, d’origines et de confessions diverses, venant des cinq rives de la Méditerranée (Afrique du Nord, Proche-Orient, mer Noire-Égée, Balkans et Europe latine) et de vingt-cinq pays pour un partage d’expériences et un échange d’idées. Un nombre équivalent d’évêques les ont rejoints dans un second temps, tous issus du pourtour méditerranéen également, pour deux jours de travail commun que le Pape François nous a fait l’honneur et la joie de venir clore lui-même. Et, autant le dire, ces échanges ont été d’une fécondité merveilleuse !
Les Rencontres méditerranéennes nous ont ouvert des pistes qu’il serait préjudiciable de ne pas explorer. Car leur intérêt est évident à plusieurs titres.
Y ont été abordées des thématiques aussi variées que les problèmes de pauvreté, d’éducation, de religion, de migration, d’écologie…, avec, en leur centre, la question du relationnel, des relations entre les « vivants » au sens large. Marseille est en ce sens une belle illustration du « tout est lié » du pape François, la ville s’offre comme un laboratoire privilégié de l’écologie intégrale.
Tout en promouvant la culture du dialogue, ces Rencontres méditerranéennes ont démontré à l’envi que le labeur missionnaire ne pouvait être fructueux qu’à la condition d’être ancré profondément au cœur des problématiques réelles que rencontrent et vivent nos contemporains. C’est tout l’intérêt en particulier qu’a pu offrir, durant ces Rencontres, le village d’associations installé sur l’esplanade de la Major, lequel a réuni un nombre impressionnant d’acteurs de la solidarité engagés diversement dans l’accompagnement des personnes en situation de précarité. Autant d’initiatives heureuses qui peuvent inspirer avantageusement nos pastorales diocésaines ou paroissiales, en les aidant à sortir de l’ornière du cloisonnement, des réflexions hors sol, des propositions de formations peu ajustées, parfois, aux attentes et aux besoins d’aujourd’hui. Et c’est ce qui a éveillé, dans l’esprit du cardinal Aveline, le projet d’une Conférence ecclésiale de la Méditerranée dont l’objectif justement est de prolonger ces partages d’expérience entre Églises-sœurs pour une fertilisation croisée des idées et des ressources. Et je mesure, là encore, l’avantage évident que ce projet représente pour notre diocèse des Pyrénées-Orientales, terre de métissage, s’il en est, qui s’offre comme un microcosme de tous les défis contemporains évoqués plus haut. Aussi, je forme le vœu que nous puissions, en Église diocésaine, explorer des pistes pour prolonger localement ce bel événement.
2. 2. Mieux accompagner les nouveaux baptisés : le "néophytat"
Un autre défi pastoral majeur concerne la mise en place d’un néophytat en rapport avec l’augmentation significative, en France, du nombre de catéchumènes depuis quelques années. Le fait est particulièrement marquant dans notre diocèse où près de 90 baptêmes d'adultes et de jeunes ont été célébrés cette année à la Vigile pascale. Au plan national, en tout cas, l’ampleur du phénomène interroge les sociologues en des temps où la pratique religieuse s’érode face aux coups de boutoir d’une sécularisation qui semble inexorablement gagner du terrain. Que des hommes et des femmes, aux itinéraires bien différents, puissent alors se laisser surprendre par la lumière du Christ et de l’Évangile est véritablement un inattendu de l’Esprit. J’ai clairement la conviction que, par eux, c’est le Christ qui fait signe en réalité à son Église et lui redit la certitude de sa présence d’amour : « Confiance, c’est moi, n'ayez pas peur ! » (Mt 14, 27), « Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28, 20).
Et c’est là qu’il nous faut tous ensemble saisir la chance que Dieu nous offre. Car le risque existe, c’est trop évident, que ces hommes et ces femmes, une fois baptisés, en viennent rapidement à disparaître de nos écrans radar, si je puis me permettre cette expression. Beaucoup, en effet, sitôt passé l’enthousiasme des célébrations vécues, se retrouvent bien seuls tout à coup ; ils éprouvent comme un « grand vide », ils peuvent avoir alors le sentiment d’avoir été lâchés après leur baptême ou, à tout le moins, de n’avoir pas trouvé leur place dans l’Église. C’est d’autant plus regrettable qu’un certain nombre d’entre eux ont consenti à des renoncements parfois coûteux pour appartenir au Christ, jusqu’à abandonner un métier ou un lieu, pour s’affranchir de la pression sociale ou familiale.
Pour toutes ces raisons, nos communautés ne sauraient pas mettre moins d’énergie dans l’accompagnement des catéchumènes que dans celui des néophytes. Elles doivent être aidées à dépasser le simple niveau du constat de manière à réfléchir aux moyens à prendre pour accompagner ces hommes et ces femmes après leur baptême. C’est tout l’enjeu d’un néophytat : l’un des grands défis pour l’Église aujourd’hui est de permettre aux nouveaux baptisés de s’intégrer pleinement dans la communauté chrétienne. S’il est vrai que l’Église est une famille, qu’elle constitue un corps fraternel – ce qu’on s’est escrimé à leur dire durant le temps de leur initiation chrétienne –, alors il faut leur donner de pouvoir éprouver la vérité effective et affective de cette fraternité. Pareille intégration ne pourra toutefois réussir que grâce à un engagement fort et résolu des équipes pastorales autour de leurs prêtres et diacres. C’est la communauté chrétienne en son ensemble qui doit en définitive se sentir concernée… Et le défi à relever est immense !
Je forme par conséquent le vœu que ce chantier puisse mobiliser le meilleur de nos énergies à l’avenir. Par leur fraîcheur, en effet, les néophytes ont beaucoup à nous apporter. Les accueillir et les accompagner comme il se doit, solliciter leur contribution sur le plan pastoral peut être le gage d’un renouveau attendu : nos communautés, un peu lasses ou désabusées parfois, s’en trouveront renouvelées de l’intérieur jusqu’à devenir plus ferventes et joyeuses, plus fraternelles et missionnaires, plus attentives aux pauvres aussi, dans la double dynamique de l’accueil et de l’audace.
III. Dans l'élan de l'Assemblée synodale diocésaine
En troisième lieu, je voudrais vous partager ce que je retiens, dans ces grandes lignes, de la lecture de la Synthèse finale qui a été rédigée en 2022 au terme d’une consultation diocésaine et qui fut remise à mon prédécesseur, Mgr Norbert Turini, lors d’une assemblée synodale présidée par lui. Est-il besoin de rappeler que le Pape François a réuni un Synode sur la synodalité dont la dernière session conclusive aura lieu en octobre prochain ?
En lisant attentivement ce texte, j’y ai perçu l’intérêt pris par chacun au partage et au débat au sein des équipes constituées. Des idées constructives ont été émises dans un climat d’écoute et de confiance réciproques. Mais des déceptions aussi se sont exprimées quant au peu de temps imparti pour constituer les groupes et à la difficulté de pouvoir rassembler des gens de la
« périphérie ». C’est vrai aussi que la consultation s’est faite en pleine pandémie de COVID, ce qui a eu pour effet regrettable une démobilisation significative à l’inverse du rassemblement attendu et souhaité. Des convictions fortes ont été exprimées malgré tout. J’ai apprécié de lire en ce sens : « Le chemin synodal est l’ADN de toute communauté chrétienne, et fort heureusement nous n’avons pas attendu cette consultation pour le découvrir » (p. 6).
Le texte interroge les fondements ecclésiologiques de la pastorale diocésaine, en ce qui concerne en particulier l’articulation entre les deux sacerdoces. Il y a, sous-jacente, une attente clairement exprimée : que le sacerdoce ministériel soit véritablement au service du sacerdoce baptismal… Sinon, on s’enlise dans l’ornière du fameux cléricalisme (p. 12) dénoncé à plusieurs reprises par le Pape François, avec le risque de confisquer le sacré au détriment du bien des personnes pour la valorisation personnelle du prêtre
(p.14).
Et c’est la communion ecclésiale qui se trouve alors mise en danger. Le texte plaide au contraire en faveur d’une liturgie qui soit « école de fraternité » (p. 9) dans le sens d’une ecclésiologie de communion : « On doit pouvoir se retrouver en famille » (p. 14). Ce sont les notions d’Église-Famille, d’Église-Peuple de Dieu, si présentes dans l’ecclésiologie du concile Vatican II, qui s’expriment, et c’est tant mieux. L’occasion de rappeler ici que la synodalité requiert le nécessaire apprentissage de la collaboration avec l’Esprit Saint : « L’Esprit du Seigneur est sur moi » (Lc 4, 18). Pour un diocèse, pour une communauté, vivre un synode, c’est (re)devenir une Église du Cénacle : on se met, avec Marie, à l’école de l’Esprit pour entendre ce qu’il veut dire à notre Église et nous relancer dans la dynamique de la mission. Sans cette dimension pentecostale, la synodalité s’essouffle : les enjeux de communion s’estompent rapidement pour laisser place aux guerres d’ego, aux querelles de sensibilité, aux conflits de pouvoir.
IV. Quelques convictions, parmi d'autres, qui habitent mon coeur de pasteur
L’expérience heureuse que je viens de décrire, au travers des visites pastorales vécues en cette première année pastorale, me conduit à mettre l’accent sur deux notions déterminantes à promouvoir dès lors qu’elles conditionnent ni plus ni moins la crédibilité du témoignage chrétien aujourd’hui : la communion et la fraternité. Qu’il me suffise ici de me référer encore une fois à la Synthèse synodale mentionnée plus haut. Nous pouvons y lire : « Nous voudrions que l’Église soit ce qu'elle proclame : amour et fraternité, sinon elle défigure l'image du Christ » (p. 15). C’est mon dernier point avant de conclure cette lettre pastorale.
1. La communion, tout d'abord
Personne ne s’étonnera de m’entendre dire qu’un évêque, ce doit être avant tout un homme de communion. C’est la mission qui lui incombe en premier, celle de favoriser les liens les plus forts qui permettront aux fidèles de son diocèse, comme aux hommes et femmes de bonne volonté, de vivre entre eux, autant que faire se peut, la douceur et la paix d’une heureuse harmonie. Et c’est à ce premier point qu’il se rend particulièrement sensible au gré des visites qu’il effectue sur le terrain paroissial. Si je puis me permettre une image : il y a dans le cœur d’un évêque comme une « tête chercheuse » qui se laisse naturellement et spontanément attirer vers les relations qui favorisent la communion. Et lorsque cela se produit, c’est la joie qui envahit son cœur de pasteur. A l’inverse, le cœur s’attriste et s’assombrit au contact de relations discriminantes, peu respectueuses de la liberté d’autrui, et elles sont plus nombreuses qu’on l’imagine.
Et je m’autorise ici une première remarque : fréquenter une paroisse parce que la liturgie nous attire ou que les sermons entendus nous parlent davantage est acceptable à condition qu'il s'agisse de préférence et non d'exclusion. Saint Paul l’a constaté lors de son passage à Corinthe : « Il m'a été rapporté à votre sujet qu'il y a entre vous des rivalités. Chacun de vous prend parti en disant : « Moi j'appartiens à Paul, ou bien j’appartiens à Apollos, ou bien moi j'appartiens à Pierre, ou bien moi j'appartiens au Christ ». Et Paul d’ajouter : « Le Christ est-il donc divisé ? » (1 Co 1, 11-13).
La mise en garde de l’apôtre est suggestive et toujours aussi éclairante pour les temps d’aujourd’hui : pour nous dire que la foi catholique s'exerce toujours dans l'Église et non dans un groupe d'affinités. Sinon, les communautés finissent par faire le jeu du Diviseur jusqu’à en devenir « clivantes », pour employer un néologisme entré depuis peu dans le langage courant. De la même manière, s’il est indéniable que la liturgie ouvre des espaces de joie dans la vie des pasteurs, elle peut a contrario emprisonner les libertés lorsqu’elle devient un espace de théâtralisation des sensibilités de chacun, un lieu de revendications de
« pouvoirs ». Elle conduit alors à diviser les communautés au lieu de rassembler les personnes dans la communion de l’amour.
2. La fraternité ensuite
Communion et fraternité vont de pair, bien sûr. Et les deux conditionnent la bonne santé d’une communauté paroissiale. Aussi, je m’autorise une deuxième remarque. Qui, en effet, n’est pas frappé aujourd’hui par la violence des débats politiques ou des débats de société, notamment à travers les réseaux sociaux ? Chacun essaie d’imposer ses idées avec véhémence sans même prendre le temps d’écouter son interlocuteur. Or cela se vérifie également au sein de nos réseaux d’Église où des chrétiens, sur un ton parfois injurieux, cultivent les outrances de langage à l’encontre de ceux qui ne partagent pas leurs points de vue. Dans son Exhortation apostolique sur la sainteté Gaudete et exultate, le Pape François s’en était personnellement inquiété au point de tirer le signal d’alarme.
Je le cite au n.115 :
« Les chrétiens aussi peuvent faire partie des réseaux de violence verbale sur internet et à travers les différents forums ou espaces d’échange digital. Même dans des milieux catholiques, on peut dépasser les limites, on a coutume de banaliser la diffamation et la calomnie, et toute éthique ainsi que tout respect de la renommée d’autrui semblent évacués. Ainsi se produit un dangereux dualisme, car sur ces réseaux on dit des choses qui ne seraient pas tolérables dans la vie publique, et on cherche à compenser ses propres insatisfactions en faisant déferler avec furie les désirs de vengeance. Il est significatif que parfois, en prétendant défendre d’autres commandements, on ignore complètement le huitième : “Ne pas porter de faux témoignage ni mentir”, et on détruit l’image de l’autre sans pitié ».
Si j’insiste à ce point sur la communion et la fraternité, c’est parce qu’elles constituent ni plus ni moins le terreau fertilisateur de la mission. Il n’y a pas d’évangélisation pleinement féconde qui ne s’alimente à la source de la communion fraternelle. Je le disais en début d’année à l’occasion des vœux à la Maison Diocésaine : nous vivons dans une société fracturée où l’aspiration à la fraternité et à la solidarité n’a jamais été aussi intense. Et c’est bien là que notre témoignage est attendu. Quand on lit les Actes des apôtres, on voit que la priorité de l’Église des premiers chrétiens n’est pas d’abord le culte ; elle s’organise à partir d’un essentiel : les relations fraternelles amoureusement tissées et sans cesse recréées lorsque les égoïsmes les fracturent (cf. Ac 2, 42). Nos pastorales, en ce sens, doivent être inventives en promouvant la culture de la rencontre, autrement dit en donnant le champ libre à la spirale vertueuse de la réciprocité qui construit la communion et apporte la joie.
3. Pour une prière confiante et insistante en faveur des vocations dans le diocèse
Vous me permettrez une dernière remarque avant de conclure. Elle concerne l’initiative heureuse prise par le service de la Pastorale des Jeunes et des Vocations en faveur de l’accueil dans nos communautés et dans nos familles de l’icône de Notre-Dame des Vocations. Le calendrier d’une nouvelle série de « visitations » de cette icône dans le diocèse commence précisément à cette date du 8 septembre. Il va sans dire que j’encourage pleinement cette initiative dès lors qu’elle répond à la demande expresse du Seigneur Jésus dans l’Évangile : « Priez le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson » (Mt 9, 38).
La moisson est immense parce que l’humanité entière a été sauvée par la Croix du Christ. Ce qui fait que tout être humain, même secrètement, aspire à entendre au plus intime de son cœur : « Tu es aimé de Dieu, tu as du prix à mes yeux » (Is 43, 4). La vie n’est pas absurde, elle a du sens, et saint Jean-Paul II le soulignait avec des mots très fort : « L’annonce de l’Évangile est l’acte d’amour suprême à l’égard de l’homme, de sa liberté, de sa soif de bonheur » (Audience au Jubilé des évêques, 7 octobre 2000). Si cela est vrai, alors il revient à tous les baptisés sans exception de relayer cette bonne nouvelle de l’amour sauveur de Jésus. Et d’une manière singulière, notre Église a besoin de ministres ordonnés pour cela, spécialement de prêtres. Mais pour que l’appel de Dieu soit par eux entendu, pour qu’il puisse se frayer un chemin dans leur cœur, notre intercession priante est absolument nécessaire. D’où la demande pressante du Seigneur de prier le Maître de la moisson. C’est à cette intercession à la fois audacieuse et confiante que je vous invite. Nous ne saurions, en effet, rester inactifs ou nous désengager au prétexte que le diocèse n’aurait donné que peu de vocations au cours de son histoire. N’attendons donc pas davantage pour frapper à la porte du cœur du Père ! Prenons l’invitation de Jésus au sérieux !
En guise de conclusion
Le moment est venu, mes amis, de conclure. Lorsqu’il y a un peu plus d’un an, j’arrivais dans le diocèse, je vous exprimais mon intention de vous servir et de vous aimer. Je voudrais vous dire à nouveau mon profond désir de m’attacher à vous avec toute l’affection de mon cœur d’évêque. Cette première année passée au milieu de vous m’a permis de découvrir les multiples richesses que recèle notre diocèse de Perpignan-Elne. Aussi, j’ai la conviction que nous portons, chacune et chacun, des ressources insoupçonnées pour relever le défi de l’annonce de l’Évangile. La mission est exigeante, certes, et les moyens pour la conduire peuvent nous sembler par moments dérisoires. Mais le Seigneur marche avec nous sur la route, nous sommes avec lui pèlerins de l’Espérance.
Je n’oublie pas la perspective toute proche de l’Année Sainte 2025 dont le thème, précisément, est « Pèlerins de l’Espérance ». Un grand nombre d’entre nous se rendront à Rome à cette occasion. J’aurai, pour ma part, la grande joie d’ouvrir cette année jubilaire le dimanche 29 décembre 2024 en notre cathédrale Saint Jean-Baptiste. Nous aurons alors toute une année pour nous remémorer le trésor de la Rédemption par la Croix et entrer plus avant dans la grâce de notre Salut. C'est bien à partir du Christ contemplé, accueilli et célébré que l'Église est appelée dans l'Esprit à chercher pour aujourd'hui et pour demain de nouveaux chemins pour la mission. Alors, courage et confiance !
Que la Moreneta, Notre-Dame de Font-Romeu, nous enveloppe, tous et chacun, dans son manteau de tendresse. Qu’elle nous accompagne maternellement sur la route de chacune de nos vies.
Le 8 septembre 2024, en la fête de la Nativité de la Vierge-Marie
✠ Thierry Scherrer, Évêque de Perpignan-Elne