"Mes amis, ce n'est pas sans émotion que nous entendons dans l'évangile cette séquence bouleversante où retentit le chant des anges dans la nuit de Bethléem :
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime ». Tout le mystère de Noël, sa signification la plus profonde se trouve comme condensé dans cette acclamation que je voudrais commenter avec vous. Je retiendrai essentiellement deux choses.
Dans cette acclamation, il y a d'abord l'esquisse d'un vertigineux mouvement de descente. Et il est important que nous y soyons sensibles. Car le Dieu qui est « au plus haut des cieux » descend tout en bas sur la terre des hommes. Comme le dit le pape saint Léon le Grand : « Sans quitter la gloire de son Père, il a pénétré les bas-fonds de ce monde ». Lui le Dieu trois fois saint, le Créateur de l'univers, il fait librement le choix de nous rejoindre dans notre condition de créature. Il a beau être Dieu, l’Inaccessible en soi, il ne reste pas prisonnier de sa transcendance, il s’abaisse, il condescend jusqu'à s’établir avec nous à hauteur de visage ; il se met à notre portée, en quelque sorte, il se fait homme. C'est d'abord cela le prodige de Noël !
Et puis, dans cette acclamation des anges, il y a le mot « gloire », et il y a le mot « paix ». La gloire, tout d'abord, qu'est-ce que cela signifie ? Spontanément, quand ce mot nous vient à l'esprit, nous pensons aux honneurs, aux paillettes, à tout ce dont les hommes aiment à s'entourer pour briller aux yeux des autres : on pense au Festival de Cannes avec les stars du cinéma qui gravissent les marches de la Croisette, sous le crépitement des flashs. Mais dans la Bible, la gloire est à l'opposé de tout cela. La gloire, dans la Bible, c'est le resplendissement de l'amour. À Noël, Dieu ne vient pas jusqu'à nous pour « épater la galerie », si vous me permettez l'expression, mais pour nous dire à quel point il nous aime. C'est le propre de l'amour, en effet, que d’abroger toute frontière entre le divin et l'humain, entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, entre ce qui est immortel et ce qui est mortel. Et c’est cela, la Gloire biblique, précisément : c’est la toute-puissance de l’Amour en vertu de laquelle Dieu est porté en quelque sorte à assumer son contraire : il est Dieu et il se fait homme ; il est tout puissant et il se rend vulnérable ; il est immortel, et il devient mortel. Et pourquoi Dieu condescend-il jusqu’à nous ? Pour nous rendre participants de ce qu’Il est, pour nous habiller de sa propre splendeur, ni plus ni moins. Mais pour cela, il a fallu qu’il en paie le prix fort. Comme le dit saint Paul dans sa lettre à Tite : « Il s'est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple un peuple ardent à faire le bien ». Si donc en Jésus Dieu s’est fait homme, c’est afin de nous délivrer de la mort. Ainsi que le prophétisait Isaïe dans la première lecture : le joug qui pesait sur nous, à savoir la loi du péché et de la mort, le Christ l’a brisé une fois pour toutes en mourant sur la Croix. Et Isaïe d’ajouter que ce qui a pu rendre cela possible, c’est « l'amour jaloux du Seigneur de l'univers ».
Et voilà bien le sens de notre présence ce soir dans cette cathédrale : penchés sur un berceau dans lequel dort l’Enfant-Dieu, Noël nous fait découvrir que l’Amour seul, dans son expression la plus pure et la plus parfaite, est capable de donner à l’infiniment grand le visage de l’infiniment petit. Et cela est riche d'enseignement pour nous, croyants. Si, dans ce qu'on appelle le mystère de l'incarnation, l’infiniment grand se fait tout petit, cela veut dire que Dieu ne se trouve pas dans les choses extraordinaires, dans les événements retentissants, mais au contraire dans ce qu’il y a de plus petit, de plus humble, dans la banalité des jours, dans la grisaille du quotidien, si j’ose dire. Et cela nous invite à faire les petites choses de tous les jours avec un cœur grand ouvert à Dieu et aux autres, à accomplir notre devoir d'état, comment on dit, mais en y mettant un maximum d'amour.
Et puis, dans cette acclamation des anges, il y a le mot « paix ». La paix est par excellence le grand cadeau de Noël ! Et c'est pourquoi Noël est porteur d’une immense joie et d'une profonde espérance. À Noël, on se prend à rêver que les canons se taisent, que les conflits et les guerres qui ensanglantent le monde puissent enfin cesser, que des fous-furieux cessent de foncer dans les foules d’un marché de Noël, comme à Magdebourg il y a quelques jours. Noël, c'est magnifique, en réalité, parce qu'il nous semble que le bonheur et la paix sont à portée de mains. Ce n'est pas pour rien qu'Isaïe appelle Jésus le « Prince de la paix ». Depuis toujours, Dieu, le premier, rêve de paix pour les hommes, c’est son grand désir. Dieu rêve de paix pour nous, mais parce qu'il croit que nous en sommes capables, il a remis entre nos mains notre propre destinée. Cela veut dire que la paix, la fraternité, c'est à nous de la construire.
Alors, mes amis, vivons à plein cette trêve de fin d’année. Mais ne soyons pas de ceux qui festoient dans l’indifférence des drames qui se vivent à leur porte. Pensons, en particulier, aux récentes victimes des inondations en Espagne, à celles du cyclone dévastateur à Mayotte. Faisons de Noël la fête de la fraternité et de la paix. Et pour cela, laissons grandir en nous ce désir de créer la paix en en devenant les artisans, les bâtisseurs, les acteurs. Et il ne faut pas aller bien loin pour relever ce défi. Cela commence au sein même de nos familles, de nos communautés, de nos milieux professionnels. Que dans nos propres familles, oui, des réconciliations se vivent, qu’avec nos voisins, nos collègues de travail des pardons s’échangent, des mains enfin se serrent ! Qu’à travers nos actes de service et de générosité, les hommes sachent de quel amour Dieu les aime, tout simplement. C'est la grâce que, chacune et chacun, nous pourrions demander à quelques jours seulement d'ouvrir une année jubilaire. Car dimanche prochain, je frapperai la porte de cette cathédrale pour ouvrir solennellement l'année jubilaire. Durant ce Jubilé, le pape François nous invite à être des « pèlerins de l'espérance ». Et comment être témoins de l'espérance sinon en étant signes et instruments de l’amour de Dieu pour le monde ? Oui, notre monde s’illumine chaque fois que se multiplient les gestes de solidarité et de partage. Soyons donc d’inlassables artisans de fraternité et d’amour ! Beau et saint Noël, mes amis, dans chacune de vos familles ! Amen."
Thierry Scherrer
Évêque de Perpignan-Elne