Vendredi 25 juin, lors d'une traditionnelle fête de fin d'année pastorale qui réunissait les prêtres et diacres du diocèse, Mgr Turini a célébré une messe d'action de grâces pour les 50 ans de la restauration du diaconat permanent en France et mis ainsi à l'honneur les 26 diacres au service dans notre église diocésaine.   Homélie de Mgr Turini 25 juin 2021 pour les 50 ans du diaconat permanent Sœurs et Frères, Nous avons voulu marquer ce 50° anniversaire du diaconat permanent avec cette messe

d’action de grâces au cours de cette soirée fraternelle qui réunit la majorité des ministres ordonnés du diocèse. Le fil conducteur qui a été choisi pour ce Jubilé, c’est la parabole du Bon Samaritain. Il me semble qu’elle souligne les traits principaux de ce que le Peuple de Dieu peut attendre aujourd’hui d’un diacre permanent. Pour cet homme sauvagement agressé sur le chemin, le Samaritain change ses plans et s’arrête afin de lui porter secours, parce qu’il est saisi de compassion. Il ne ferme pas les yeux devant ce moribond qui souffre. En quelque sorte, c’est cet homme roué de coup quasi à l’agonie qui le déplace dans la charité, sur le terrain de sa souffrance. On dit que charité n’a pas d’heure. De fait servir les pauvres ne se case pas dans un agenda coincé entre deux rendez-vous et ne se programme pas nécessairement. Vivre la charité suppose de demeurer en état de veille, à être prêt à intervenir à tout moment et pas seulement quand ça nous convient ou quand ça nous arrange ou quand nous l’avons prévu.

C’est ce qu’accepte ce Samaritain qui ne craint pas l’imprévu et l’accueille dans le visage de l’homme à terre. Cela suppose de rester ouverts aux inattendus de l’amour fraternel et d’y répondre en toute circonstance. Des blessés de la vie, nous n’en manquons pas autour de nous. C’est sur les plaies du monde que le diacre doit se pencher et exercer le ministère de la charité à la manière du Christ. Cela suppose une vie spirituelle solide et une volonté à toute épreuve

  • pour ne laisser personne sur le bord du chemin,
  • mais lui porter secours,
  • aller à sa rencontre,

afin qu’il ne reste jamais seul dans son malheur ou sa douleur.

Ce Samaritain traite cet homme comme une personne, comme un autre lui-même dont il se fait proche jusqu’à toucher sa chair pour panser ses blessures. L’exercice de la charité diaconale, ne se vit pas que dans de belles prédications, mais à travers des gestes posés concrètement, même si d’autres ne les voient pas. Mais nous savons que le Père, lui, voit dans le secret et c’est le plus important. Ce que le Samaritain vit avec ce blessé n’est connu que de Dieu seul. Il n’y a pas de témoin, il y a longtemps que le prêtre et le lévite ont taillé la route. La beauté de la charité est là, dans cette proximité, gratuite, sans publicité,

  • qui ne cherche aucune reconnaissance, aucun honneur,
  • qui ne se sert pas de l’autre comme un faire-valoir,
  • mais qui le considère à l’égal de lui-même et
  • pour qui l’inconnu, devient un proche, devient un frère qui est entré dans sa vie.

Il y a une forme de cléricalisme dans l’attitude du prêtre et du lévite,

  • une manière de se situer au-dessus,
  • de regarder de haut,
  • de ne pas se souiller avec le sang du blessé pour rester pur aux yeux de la Loi, pour garder leur intégrité,

montrant ainsi une forme de supériorité qui ressemble à de l’indifférence.

Le diaconat nous apprend que personne n’est au-dessus des autres qu’au contraire nous sommes tous au service les uns des autres, car Jésus nous rappelle que nous avons une dette : celle de l’amour mutuel qui s’exprime dans la posture du serviteur, par le seul pouvoir du service. Le diaconat nous apprend à la manière de St Paul, à estimer les autres supérieurs à nous-mêmes en commençant par les pauvres que Jésus place au cœur de l’Evangile. Chez le Samaritain, c’est l’abaissement, il se met au niveau de celui qu’il sauve. Il n’a pas peur de toucher ses plaies. C’est comme une alliance sacrée qui dit à l’autre : « tu n’es plus seul, je suis là avec toi, tu peux compter sur moi, je prends soin de toi ». Le Pape François dans sa rencontre avec les diacres de Rome le 19 juin dernier l’exprime mieux que moi : « les diacres seront des serviteurs prévenants qui se donneront du mal pour que personne ne soit exclu et pour que l’amour du Seigneur touche concrètement la vie des personnes ». Et ce Samaritain se donne du mal pour cet inconnu. Non seulement il panse ses plaies, mais il l’installe sur sa propre monture et l’amène à l’auberge pour que l’on continue à s’occuper de lui. C’est la marque d’un attachement profond et total. Il n’y a pas de charité vécue à moitié. C’est un engagement radical. Un autre trait du Samaritain qui me touche, c’est qu’il connaît les gestes de première urgence. Il sait ce qu’il doit faire pour soulager tout de suite sans attendre et avec pas grand-chose. Le diaconat correspond à une pastorale de première urgence, à une pastorale des premiers secours, où l’on prend l’autre en charge sans se poser de question parce qu’il a faim, soif, qu’il est malade ou en prison, qu’il est nu, étranger, exclu, rejeté, humilié. Il y a des situations que le Seigneur nous envoie où l’on n’agit plus avec l’intelligence du cœur que celle de sa tête. On ne peut pas faire attendre celui qui souffre. Comme le Samaritain, on intervient sans tarder avant qu’il ne soit trop tard. C’est l’amour qui commande l’intelligence du cœur et qui nous fait agir.

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  Cette pastorale des premiers secours concorde parfaitement avec cette image de l’Eglise que donne le Pape François dans la Joie de l’Evangile et dans laquelle le diacre est appelé à servir : « Je vois l’Eglise comme un hôpital de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol ou si son taux de sucre est trop haut ! Nous devons soigner les blessures. Ensuite nous pourrons aborder le reste ». Notre monde est devenu un champ de bataille où la misère côtoie la grande solitude, la violence, la maladie, l’injustice et le ministère du diacre se situe sur ces lignes de fracture, accentuées par ce que nous sommes en train de vivre. C’est inconfortable, mais s’il n’y est pas qui y sera ? Ça peut-être sur son lieu de travail, dans sa propre famille, dans ses engagements, dans ses relations, dans son Eglise même. Au fond c’est là qu’il est envoyé par son évêque, là où l’humanité se déchire, se brise pour en panser les plaies et l’accompagner à l’auberge du réconfort, de la consolation, de la fraternité, de la rencontre avec Celui qui rompt le pain de Son Corps et se donne en nourriture. Dans son service, le diacre, exerce un ministère de salut à la suite du Christ, comme le Bon Samaritain qui sauve cet homme d’une mort certaine avec de l’huile et du vin. Un autre trait qui a retenu mon attention. C’est au cœur de sa vie que le Samaritain vit cette aventure de la rencontre avec cet homme à moitié mort. Il était en voyage on ne sait pas trop pourquoi pour son travail, pour retrouver sa famille, où se rendre chez des amis ? Mais

  • c’est toujours au cœur de notre vie au milieu de nos préoccupations, de nos projets, de nos engagements que se produisent les évènements déroutants, les rencontres impromptues,
  • c’est sur le chemin de nos existences que l’on entend le cri des pauvres, jamais à côté. Si nous sommes en dehors de la vie ou au-dessus comme le prêtre et le lévite, nous n’entendrons jamais rien, nous nous empêcherons de voir.
  • C’est au cœur de votre vie d’époux, de père, de grand-père ou de célibataire, de votre vie en Eglise comme disciples de Jésus Serviteur, que le Seigneur vous appelle au service de vos frères et sœurs.

Il n’existe pas de diacre hors sol, au-dessus de la mêlée humaine, mais il en fait partie et pour rejoindre les paroles du Pape aux diacres de Rome que je réinterprète à sa façon, c’est beau d’entendre dire : « Tu vois notre voisin le diacre, il prend non seulement soin de sa famille, de ses enfants, mais il trouve encore le temps de prendre soin de pauvres ». Cela vaut tous les discours et toutes les homélies et ça sent bon l’Evangile. Enfin, ce qui me marque encore chez ce Samaritain, c’est que non seulement il se fait le compagnon de cet inconnu, mais qu’il ne l’abandonne pas chez l’aubergiste comme pour s’en débarrasser. Il reviendra vers lui. Il vit cet accompagnement dans la durée. C’est toute l’attitude de Jésus-Serviteur qui est avec nous tous les jours jusqu’à son retour dans la Gloire pour nous faire entrer avec Lui dans la vie éternelle. Oui le diacre dans l’annonce de l’Evangile, dans sa prédication, dans sa proximité avec les plus fragiles rappelle que l’Eglise a un cœur de mère qui bat pour ses enfants. Sa présence auprès de l’autel nous interpelle et elle nous dit : « N’oubliez jamais les pauvres ».

AMEN.